Marine Campebel : son regard sur les neurosciences

Marine est docteur en traitement du signal et des images, chercheur dans le groupe de recherche en neurosciences et éducation (GRENE) de l’Université catholique de l'Ouest. Elle a eu l’occasion d’intervenir auprès des acteurs de l’Education en Polynésie française à plusieurs reprises et a animé, à mon invitation, une master class en 2017 sur le thème « Les neurosciences, une invitation à changer notre regard sur la relation à soi et aux autres ? ». De nouveau à Tahiti, il m’était impossible de ne pas lui proposer cette interview.

 

Si tu devais définir le périmètre des neurosciences, quel serait-il ?

 

Il serait vaste et surtout encore inconnu ! Les neurosciences sont les sciences liées à l’étude de du système nerveux, dont fait partie le cerveau. Elles concernent des disciplines variées, comme la psychologie, et en particulier la psychologie cognitive qui nous explique les processus à l’œuvre dans le cerveau pour apprendre, mais aussi la neurologie, la chronobiologie, la philosophie, l’anthropologie, ou encore l’informatique qui propose des modélisations à partir des données collectées. Et je ne suis pas exhaustive !

Personnellement je m’intéresse à l’application des neurosciences dans le domaine de l’éducation, ce que, au GRENE, nous appelons les neurosciences de l’éducation et non la neuro-éducation. En effet nous ne voulons pas d’une éducation qui serait pilotée par les neurosciences mais plutôt d’une éducation qui dialogue avec, dans le but de réfléchir aux systèmes éducatifs de demain.

Quels sont tes projets de recherche ?

 

Mon premier axe de recherche, au GRENE, concerne les organisations apprenantes. Nous cherchons à comprendre pourquoi certaines écoles acceptent de changer et d’autres non. Nous nous demandons si les réponses sont les mêmes pour une organisation humaine ou pour un humain seul, voire même un système biologique quel qu’il soit.

 

Le second axe concerne l’articulation entre la théorie de la Gestion Mentale - appelée parfois théorie des gestes d’apprentissage - d’Antoine de La Garanderie et les neurosciences, c’est-à-dire entre une pédagogie philosophique et les sciences « dures ».

 

Que peuvent nous apprendre les neurosciences du monde professionnel ?

 

Le monde professionnel ? Ce monde-là est-il si différent d’autres mondes ? Les neurosciences nous permettent de croire en l’éducabilité du fait de la plasticité cérébrale, propriété maintenant bien établie du cerveau : nous pouvons apprendre toute notre vie. Et le cerveau aime naturellement cela. Que ce soit pour le monde professionnel, scolaire, personnel,… les neurosciences nous confirment avant tout que chacun a un cerveau unique, façonné conjointement par la génétique et l’expérience qui continue d’évoluer jusqu’à notre mort.

 

Cela nous invite à avoir un regard différent sur autrui, à nous accepter dans nos différences et à toujours croire que nous pouvons changer « demain ». Les neurosciences nous présentent aussi les bases neurales du « vivre ensemble », de la vie sociale et de nos comportements éthiques.

 

En outre, notre cadre de vie impacte notre cerveau, qui cherche généralement son plaisir (ou évite les déplaisirs) à moindre coût énergétique. L’environnement de travail doit donc être réfléchi pour être effectivement propice au travail. La chronobiologie et la chronopsychologie étudient l’adéquation des rythmes de travail avec les rythmes biologiques et nous apportent des informations sur les liens entre notre sommeil, notre hygiène de vie (activité sportive, alimentation, relations sociales) et nos processus cognitifs. L’aménagement de l’espace de travail fait également l’objet d’études spécifiques. Enfin, comme l’on sait que le stress chronique atrophie notre hippocampe, il vaudrait mieux nous en préserver !

 

Quelles sont les croyances les plus classiques sur le cerveau ?

 

Il est souvent difficile d’admettre que le cerveau ne fonctionne pas à 10% mais à 100% ! Difficile de penser qu’il ne s’arrête jamais… J’ai l’impression que les personnes se jugent souvent négativement en France et pensent que leur cerveau est sous-optimal. Chez les jeunes, c’est très frappant : « Je suis nul » « Je ne vaux rien ». Mais je l’entends aussi de la part d’adultes. En même temps ce n’est pas parce le cerveau fonctionne à 100% qu’il n’a pas de potentiel de développement dans ses fonctionnalités, bien au contraire. Plasticité cérébrale oblige ! Notre cerveau est impacté par nos activités mais aussi nos pensées. Attention donc à ce que nous pensons !

 

Les différences entre hommes et femmes sont aussi résistantes. Les prophéties auto-réalisatrices, nos capacités à nous conformer aux attentes des groupes sociaux dans lesquels nous évoluons, nous façonnent indéniablement. Les hommes et les femmes ne font pas les mêmes expériences. Mais ce n’est pas dans la structure du cerveau que cela se joue.

 

La croyance en des styles d’apprentissage est un peu du même ordre : dans le domaine de l’éducation, on pense souvent que c’est en s’adaptant à ce que l’on croit savoir d’une personne que cette dernière apprend le mieux. Mais non ! Apprendre c’est évoluer vers du nouveau et non rester confiné dans ses habitudes de vie, de pensée.

 

Et le libre arbitre ?

 

Tu fais allusion aux travaux de Libet en 1973 et autres neuroscientifiques après lui qui ont montré que nos décisions n’étaient pas prises en conscience mais avant que nous en ayons conscience - jusqu’à plusieurs secondes avant dans certaines expériences.

 

Cela pose la question de notre libre arbitre, c’est-à-dire de notre faculté de prendre des décisions, d’agir de nous-mêmes. Serions-nous soumis à un certain déterminisme ? Serions-nous finalement pilotés par l’environnement ou par des processus internes de type « action -réaction » automatiques ?

 

En partie oui ! Beaucoup de nos actions, comme le mouvement de nos yeux par exemple, sont automatisées et nous n’en avons pas conscience ; elles ont ensuite un impact sur notre façon d’interpréter le monde. Cependant cela ne veut pas dire qu’elles sont sans intention personnelle. Voir le monde n’est pas une activité passive par exemple, elle répond à des intentions véhiculées par notre attention sur le monde. Nous sommes habités par des projets plus ou moins conscients qui vont induire des comportements, des actions. Comme dirait Paulo Freire, « Nous sommes des êtres conditionnés mais pas déterminés ».

 

Les neurosciences nous apprennent aussi que nous sommes capables de résister à nos habitudes, nos routines. Mais, cela invite à un travail conscient qui est plus coûteux pour le cerveau.

Que pourrais-tu dire à propos de notre capacité d’empathie ?

 

Il semble que, même petits, les enfants ont une tendance à vouloir aider autrui – et donc à faire preuve d’empathie. Au début, ils projettent leurs propres sentiments sur l’autre, puis ils apprennent à discriminer ce qui les concerne de ce qui appartient à l’autre.

 

Au cœur de nos vies, il y a les émotions et les sentiments. Si l’on en croit Damasio, ils sont même au cœur de toute forme de vie, si tant est qu’un organisme sans conscience puisse être considéré comme ayant des émotions. Elles sont à l’origine de tous nos comportements, de nos pensées.

 

En outre, les travaux sur les neurones miroirs ont montré que nous simulions les actions d’autrui dans notre cerveau, à partir de la vision ou de l’audition. Ces actions peuvent être fines, peu consciemment perceptibles et pourtant perçues : je pense aux mouvements fins des muscles du visage d’une personne car ils nous renseignent, presque à notre insu, sur les émotions qui la traversent et peuvent occasionner des changements en nous-mêmes. C’est un phénomène empathique !

 

Quels sont les dangers potentiels des recherches sur les neurosciences ?

 

Les neurosciences s’intéressent à l’éthique selon deux axes : les neurosciences de l’éthique, c’est à dire les bases neurales de nos comportements éthiques et l’éthique des neurosciences, qui étudie et encadre les usages des neurosciences.

 

Actuellement, je suis interpellée car les personnes que je rencontre ne semblent pas au courant que nous pouvons commander des objets par la pensée par la technique de neuro-feedback ou qu’il existe des technologies capables de contraindre le fonctionnement cérébral - Je pense à la Stimulation Magnétique Trans-crânienne (SMT).

 

Ces technologies ont été développées dans un cadre de santé : le neurofeeback permet de soigner les troubles de l’attention de façon non médicamenteuse et la SMT a des effets sur les dépressions. On voit actuellement des applications variées se multiplier - comme commander la domotique de sa maison par la pensée par exemple - sans discussion sociétale à leur sujet.

 

Il s’agit ici de technologies non invasives mais il existe d’autres travaux avec des implants : la discussion sur l’homme augmenté ne fait que commencer et pourtant on en parle peu… Certains sont déjà prêts à accepter des pilules ou des implants pour peu que cela les rende plus performants. Quel humain voulons-nous pour demain ? N’est-ce pas un mythe de penser l’homme comme un individu unique qui pourrait s’affranchir des autres ou de l’environnement pour être « performant » ?

Comment expliquer que la motivation principale de notre cerveau soit le plaisir ?

 

J’aime bien la vision de Elena Pasquinelli qui nous rappelle que nous avons le même cerveau que les chasseurs-cueilleurs d’il y a 30.000 ans. Leurs besoins ne sont plus les nôtres mais notre cerveau a évolué pour s’y adapter et nous en avons hérité. Par exemple, les chasseurs-cueilleurs avaient des besoins énergétiques importants pour chasser le mammouth. Ils devaient donc rechercher des aliments sucrés satisfaisant ces besoins. Nous avons hérité de ce goût pour le sucre bien que nos besoins soient différents, étant donné nos activités quotidiennes actuelles.

 

Nos émotions sont là pour nous dire si la situation est satisfaisante ou non : le plaisir est le résultat d’une évaluation jugée positive pour l’organisme. Notre cerveau recherche ce plaisir et tente d’éviter le déplaisir, le danger,…

 

De quoi a t-il besoin d’autres ?

 

Pour être en bonne santé, tout au long de la vie, les chercheurs semblent unanimes : il faut s’alimenter de façon équilibrée, avoir une activité sportive régulière (et à sa mesure bien sur), un sommeil respectueux de nos besoins personnels et des contacts sociaux ! Pourquoi nous compliquons-nous autant la vie ?

 

0 réponses

  1. […] Des expériences menées par Benjamin Libet, neuroscientifique, avec des sujets placés dans des IRM dans les années 1970 et poursuivies par d’autres chercheurs, ont démontré également que, l’amygdale, cette région du cerveau impliquée dans les réactions émotionnelles, s’activait lorsque le sujet prenait des décisions et ce, avant même la décision consciente. Comme si notre cerveau validait une option alors que nous n’en n’avons pas encore conscience (et ce, jusqu’à 7 secondes !). Nombreux sont ceux qui se posent de ce fait et encore aujourd’hui la question de notre libre arbitre… […]

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